À l’occasion de la Journée d’études du Laboratoire Sens et Compréhension du Monde Contemporain (LASCO), Idea Lab de l’Institut Mines-Télécom, le 31 mai 2016 à l’Institut Mines-Télécom sur le thème « Création de sens et agir collectif à l’ère numérique. Regards croisés sur les organisations et les sphères publiques », Carine Dartiguepeyrou, prospectiviste et politologue a fait une intervention sur la thématique « Une prospective de l'efficacité collective à l'ère numérique ». Elle a également résumé les principales conclusions de cette intervention dans un texte ci-dessous, qui sera également publié dans la revue Rh&M
La notion d’efficacité collective existe en tant que telle, indépendamment du numérique, mais le numérique a tendance à accentuer et à amplifier la nature des relations. Un jeune interviewé dans l’étude sur les digital natives dans les grandes entreprises résumait très justement l’idée : « Le numérique peut faciliter la collaboration, mais si l’entreprise n’est pas collaborative ou que les personnes ne le sont pas, ce n’est pas le numérique qui va les rendre collaboratives ! ».
De même, le numérique peut également accentuer un manque d’efficacité collective en cas de dysfonctionnement technique ou lorsque l’outil utilisé n’est pas maitrisé. Même si globalement le numérique permet de nous faire gagner du temps, de partager des documents, de donner plus de traçabilité à nos actions, de travailler de manière asynchrone, il peut aussi nous faire perdre du temps à des tâches considérées parfois comme inutiles, en accentuant la charge de reporting et de processus à suivre.
Le numérique apparait encore une fois le promoteur de nouvelles pratiques, de modes de fonctionnement dès lors où on l’utilise à bon escient. Il peut également instrumentaliser les personnes, les détourner dès lors où il est lui-même le média d’une instrumentalisation.
L’efficacité collective à l’ère numérique prend donc tout son sens dès lors qu’elle est au service d’une autonomie, de l’émancipation des personnes pour reprendre le trait qui caractérise selon nous le mieux le changement de paradigme. Mais elle opère également dès lors où elle relie entre elles les personnes, soit pour renforcer des liens déjà établis, soit pour en créer de nouveaux.
Il y a donc des cultures organisationnelles qui sont plus permissives que d’autres, celles où la créativité et la prise de risque s’expriment. L’efficacité collective résulte donc d’une étroite relation entre la contribution des personnes et le contexte dans lequel elles agissent. Ceci n’est pas nouveau. Par contre, la lourdeur ou la complexité des processus dans les grandes organisations ou administrations compromettent sérieusement l’efficacité collective. Cet aspect a été largement éclairé par François Dupuy[1] qui montre comment le fait de vouloir tout contrôler peut créer de graves dysfonctionnements.
Deux scénarios d’avenir
Deux scénarios se dégagent dans les années à venir, des cultures et organisations où il fait bon travailler ensemble, où l’intelligence collective s’appuie sur des acteurs autonomes qui savent interagir ensemble et dans la complexité. Cela veut dire qu’ils s’exercent aussi à trouver différentes modalités de travail ensemble. Cela rejoint les expériences d’entreprises, souvent des PME mais pas toujours comme le film documentaire « Le bonheur au travail »[2] le montre. Parmi elles, Chronoflex ou le Ministère belge de la sécurité sociale ou encore les exemples cités par Isaac Getz dans son livre "L’entreprise libérée". A signaler d’ailleurs le témoignage de Robert Collar du Groupe Poult dans le cahier de prospective « Leadership et nouvelles expressions de pouvoir à l’ère numérique » (octobre 2014)[3]. Plus récemment « Demain », le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent témoigne également d’initiatives dans plusieurs domaines éducatifs, économiques, sociaux etc.
Toutes ces expériences font ressortir que le management réfléchit aux conditions de travail pour réaliser un objectif. Tout est fait pour maximiser l’autonomie des personnes. Bien sûr, ce que l’on oublie de dire, c’est que cela attire des personnes qui ont envie de relever ce défi, sentent qu’elles peuvent avoir confiance dans l’institution comme dans leurs propres capacités.
Le second scénario, le scénario noir, est celui de l’instrumentalisation à plusieurs niveaux. Des personnes qui n’ont pas confiance en elles et cherchent consciemment ou inconsciemment une forme de protection dans un tiers (organisation ou personne) que cela soit par son paternalisme, la promesse de la sécurité de l’emploi ou de sa stabilité etc. Des organisations qui pensent qu’en communiquant le moins possible sur leurs visions d’avenir, elles pourront maintenir un niveau suffisant de motivation des personnes au travail alors qu’elles renforcent au contraire leur perte de sens. Des managers qui préfèrent s’économiser et pensent que leur pouvoir est de s’asseoir sur les informations qu’ils détiennent alors qu’il est au contraire de les faire circuler et de les partager.
Les phénomènes de massification et de mécanisation accentuent la désindividualisation et la désingularisation comme l’exprime Bernard Stiegler. Le numérique joue le rôle d’accélérateur de tendances, parce qu’il permet à travers les réseaux sociaux notamment de s’émanciper et de se relier mais également de s’isoler et de se replier.
Les générations à venir
Dans ce contexte, quelles sont les attentes des jeunes générations ? Comment la GenY est-elle susceptible de faire évoluer l’efficacité collective dans les années à venir ?
L’étude sur les jeunes diplômés de moins de 30 ans dans les grandes entreprises montre qu’ils sont en majorité conformistes et cherchent avant tout à s’intégrer plus qu’à transformer leur entreprise. Ils sont très clairvoyants sur les atouts que leurs confèrent leur agilité numérique et sur ce que l’efficacité collective implique. Ils ont une vision et pratique très « libérées » du travail collectif. Ils savent trouver les ressources nécessaires et adoptent des modes parfois plus directs que leurs ainés pour accomplir leurs tâches. Cependant rares sont ceux qui voient pas dans leur manière de travailler un atout dans la capacité à transformer leur entreprise. Cela relève plutôt des change makers, ceux qui sont à la pointe de la transformation digitale de leurs entreprises. La GenY garantit que le numérique prendra sa juste place à l’avenir dans les entreprises mais ne laisse pas présager que les cultures d’entreprises évoluent à la même vitesse. Le seul âge ne suffit pas à expliquer la propension d’une personne à être plus efficace collectivement.
Là encore la culture d’entreprise jouera un rôle majeur, en créant des terrains où la confiance et le partage peuvent se déployer, où l’attention rimera avec contribution et reconnaissance[4].
En conclusion, se poser la question de l’efficacité collective ne doit pas nous faire oublier les aspirations d’une vision humaniste de la société à savoir son aspiration au bonheur. « Le problème que nous avons à résoudre c’est d’avoir une société efficace mais une société heureuse ; il n’est pas facile de concilier les requêtes de l’efficacité et les aspirations au bonheur, (…) ce qui satisfait le plus profondément les aspirations les plus secrètes de l’âme. » disait Gaston Berger. N’y a-t-il pas une forme finalement d’équilibre à rechercher entre efficacité collective et bonheur ? Comment rester vigilant pour que l’efficacité collective serve véritablement un projet humaniste de société et non de nouvelles formes d’instrumentalisation de l’homme ?
Carine Dartiguepeyrou, prospectiviste est l’auteur de plusieurs ouvrages en prospective et intervient comme conférencière. Elle est membre du Think Tank Futur Numérique de l’Institut Mines Télécom et a coordonné à ce titre le cahier de prospective « L’efficacité collective à l’ère numérique » pour la Fondation Télécom (téléchargeable en ligne).
[1] François Dupuy, Lost in management, Seuil, 2013.
[2] Film de Martin Messonier pour Arte, http://www.atmospheresfestival.com/estate/le-bonheur-au-travail/. Programmation du Festival Atmosphères de Courbevoie en septembre 2015.
[3] Sous la dir. de Carine Dartiguepeyrou, Leadership et nouvelles expressions de pouvoir à l’ère numérique, IMT/Fondation Télécom, 2014 ainsi que le Colloque http://www.fondation-telecom.org/page/notre-action-5/think-tank-futur-numérique-18/
[4] Carine Dartiguepeyrou, « Ce que nos petits jeunes nous disent de nos grandes entreprises », étude conjointe Think Tank Futur numérique de l’Institut Mines Télécom et de la Chaire Orange Digital Natives de Grenoble Ecole de Management, 2016.
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